Numéro 03/10 |
Psschhut!... Ecoutez... et savourez... Les délectations suaves de la fi ne gastronomie emplissent votre être tout entier, tiennent en éveil tous vos sens. Dans cet univers de raffinement, l'art de la table s'empreint de sensibilité, de doigté et de savoir-faire, tout comme la pédagogie... Pédagogie ? Mais que diantre vient faire ici cette «science humaine»?
Nicole Coppey
Au-delà d'une juxtaposition légère, le lien entre pédagogie musicale et
gastronomie revêt, selon ma perception, plus de similitudes qu'il n'y
paraît.
Tout d'abord au niveau du processus, lente élaboration et mutation d'une denrée première en un bien d'un autre ordre. Ceci commence au marché, sur le lieu où le cuisinier projette déjà la finalité de l'œuvre. Ici l'intuition est primordiale, tout comme la perception affinée, pour capter la nature même des ingrédients, leur état de maturité, ou leurs potentialités à révéler telle saveur, tel fumet. De manière analogue, le pédagogue doit faire appel à la fois à sa perception pour saisir le tempérament de l'élève et à son instinct pour le guider.
Devant les fourneaux, les choses se mettent en place. Tout d'abord, en optant pour la bonne forme, le récipient adéquat, la bonne température, puis plus finement par un savant dosage de condiments, un doigté délicat, une expérience et un savoir-faire pour intégrer les éléments au bon moment, dans l'ordre logique et naturel. Et puis, l'appel aux sens, aux émotions, au raffinement subtil avec des gestes fins, ressentis, nuancés. Dans cet univers, le pédagogue se retrouve, lui qui n'a de cesse de mettre au cœur de l'apprentissage la sensibilité, la mémoire et la créativité, pour laquelle tous les sens sont en éveil. Le lien devient encore plus parlant entre les deux matières lorsque l'écoute, mais aussi l'exigence d'un pédagogue, mènent à ce raffinement, comme lorsqu'on épluche lentement un légume pour mieux sentir son parfum. Justement, « sentir» est très approprié à l'image de la transmission d'une énergie vitale que l'on peut retrouver dans le pain, par exemple.
Se détacher des recettes
Acte profondément ancré dans la tradition sociale et culturelle, la gastronomie peut se prêter à toutes les audaces, réinterprétant sans cesse l'acquis pour le faire évoluer vers d'autres horizons. De même, le pédagogue, prenant appui sur les racines culturelles existantes, enrichit constamment ses ressources d'enseignement par des apports extérieurs. Mais la comparaison ne s'arrête pas là. Tout comme pour la gastronomie, la pédagogie ne s'accommode pas de recettes figées. L'essence même de l'art culinaire est de savoir s'en détacher, pour permettre les affinements, ajustements, variantes, réactions et autres innovations. Il s'agit bien de sentir quels ingrédients y mettre, à tel moment, en fonction de telle « casserole », de tels invités, en soit suivre une recette créative, adaptée, expressive, permettant à chacun d'y trouver de la saveur.
En pédagogie, et spécialement en pédagogie musicale où l'émotionnel contenu dans la musique transparaît si fortement, il est essentiel de laisser une grande place à l'interaction créative. Plaisir des sens, la musique l'est également pour le cœur et l'esprit. Son pouvoir évocateur, tout comme les saveurs culinaires, procurent à l'auditeur-dégustateur une richesse inouïe.
Ecouter et goûter en même temps
Pour le compositeur Arthur Thomassin, la musique « cuisinée » dans le processus de composition, évoque de savoureuses associations : « Entre musique et cuisine du monde il n'y a pas seulement l'accompagnement musical, mais comme dans toute interprétation, la manière, le toucher, les sens éveillés pour réaliser une harmonie à découvrir ; car chaque plat est comme une partition réalisée que le goût et les sensations doivent adorer. Alors, on ne jette pas une pincée de sel, mais on sème, on implante, on colore l'intérieur du goût, comme le doigt qui doit mesurer la dynamique pour obtenir un son sensible et expressif. Et puis la tradition et toute la symbolique des cultures reliant la fabrication des mets, qui rend à l'être humain l'identité des goûts et la curiosité de découvrir la symbiose entre ses sens et ce que la nature lui offre généreusement. N'est-ce pas cela écouter et goûter en même temps une œuvre?»
Mitonner les mets les plus extraordinaires et composer la meilleure des musiques seraient vains si le gastronome ou le mélomane ne lui donnaient pas leur raison d'être. Offrir sa cuisine ou sa musique, c'est se dévoiler intérieurement en transmettant sa passion... *
Vous pouvez lire l'article dans la RMS 03 / 2010